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NON A LA PRIVATISATION DE LA MEMOIRE FAMILIALE

Point de vue

Non à la privatisation de la mémoire familiale







L'économie numérique peut être une source de profit, certains l'ont bien compris.Une société, spécialisée dans la généalogie en ligne, (Genealogie.com), exige de l'ensemble des conseils généraux la remise gratuite ou à faible coût des copies numériques de documents détenues par les archives départementales. Au nom de la loi du 17 juillet 1978 modifiée qui a permis la réutilisation des données publiques, elle souhaite réutiliser ces données afin de les indexer et de constituer, comme l'affirme son principal dirigeant, "la plus grande base de données généalogiques nominatives de France (...) couvrant l'ensemble de la population française du début du XXe siècle".

Ne faut-il pas s'interroger sur cette "marchandisation" que constituerait la cession à vil prix, voire gracieuse, à une société privée d'une partie du patrimoine écrit national, que la plupart des conseils généraux ont depuis plusieurs années entrepris de numériser et de mettre en ligne ?

De fait, l'exception culturelle prévue par la loi du 17 juillet 1998 laisse les services culturels libres de fixer "les conditions dans lesquelles les informations peuvent être réutilisées". Or l'étendue de cette exception fait l'objet d'interprétations divergentes. La commission d'accès aux documents administratifs (CADA), notamment, dénie aux services culturels le droit de refuser toute réutilisation des données publiques et les assimile au cas commun. Mais un avis de la CADA peut-il faire fi de l'exception culturelle voulue par le législateur et ardemment défendue par notre pays depuis des années ?

Surtout l'intérêt porté par des sociétés privées aux données pose un problème d'ordre éthique et démocratique. Une partie des documents concerne en effet des personnes encore vivantes. La technologie actuelle permet de constituer un fichier des populations et des familles d'une ampleur dépassant tout ce qui a pu exister jusque-là.

Il est surtout possible de croiser les données, les indexations obtenues à partir des documents d'archives, et de leur appliquer moult traitements informatisés, pour répondre aux demandes de toutes sortes de clients...

Qui ne peut pas s'inquiéter que des milliards de données personnelles puissent être concentrées aux mains d'un seul opérateur privé qui est en train de prendre, par le rachat de sociétés du secteur de la numérisation, une position de monopole ? Pourra-t-on en effet s'assurer que ces données ne seront pas cédées à d'autres sociétés (hors toute licence) et que la finalité de leur cession première ne sera pas détournée ?

Alors que le "droit à l'oubli numérique" est à l'ordre du jour, peut-on négliger ces risques ? Face à ces enjeux, les conseils généraux, sollicités à travers leurs services d'archives, sont aujourd'hui en première ligne. Le ministère de la culture, quant à lui, est jusqu'à présent resté très discret.

Il est temps que l'Etat, garant des libertés individuelles et en charge de la politique nationale des archives, se prononce. La mémoire familiale des Français n'est pas à vendre, elle est un bien commun.


Claudy Lebreton, président de l'Assemblée des départements de France (ADF), président du conseil général des Côtes-d'Armor ;

Yves Krattinger, président du conseil général de Haute-Saône ;

Vincent Eblé, président du conseil général de Seine-et-Marne.