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Discours d'André Viola lors du 87ème Congrès de l'ADF

"Nous sommes des décentralisateurs, nous sommes la France des territoires et de ses habitants, c’est elle que nous voulons construire !
 Le Gouvernement est-il prêt à assumer ses responsabilités et à faire la démonstration de sa volonté de construire avec nous la France de demain?"


Monsieur le Président du Sénat,
Monsieur le président de l’ADF,
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Madame la Présidente du Département des Bouches-du-Rhône,
Mesdames et messieurs les Présidentes et présidents de conseils départementaux,
Mesdames et messieurs les conseillers départementaux,
Mesdames, messieurs.

Nous voici à nouveau réunis en Congrès, comme chaque année. C’est le premier après les rendez-vous électoraux qui ont marqué le printemps et l’automne 2017.

Nous avons vécu une séquence électorale inattendue !

Les formations politiques qui composent majoritairement notre association ont connu des campagnes difficiles.

Cette séquence a conduit à l’élection du plus jeune Président que notre République ait connu mais surtout du premier à appuyer formellement sa rhétorique sur le mélange entre propositions de gauche et de droite.

Personnellement, je continue à penser que le clivage gauche/droite est pertinent. Il s’est construit sur des grands courants de pensée, sur des engagements locaux et nationaux, il fait corps avec la démocratie, il lui est nécessaire et bénéfique. Je suis de gauche et c’est parce que je le suis que je suis en mesure de faire des choix politiques clairs. C’est parce que je suis de gauche que je sais trouver de véritables équilibres politiques avec la droite lorsque c’est nécessaire. Sans boussole on finit toujours par tourner en rond ! N’importe lequel des montagnards, qu’il soit premier de cordée ou pas, vous le dirait d’ailleurs !

Pour autant, je veux croire que ce Président de la République saura faire des choix justes pour les départements. Le 8 mars, lorsque le candidat Emmanuel MACRON était venu devant l’ADF, il donnait l’impression de nous avoir compris et de vouloir agir. Espérons que ce n’était pas un simple jeu de séduction. Le doute est profond tant les mesures prises par son Gouvernement concernant les collectivités sont inquiétantes.

D’ailleurs, les collectivités l’ont compris. Dès l’automne, alors que beaucoup d’élus avaient été séduits par la musique du « en même temps », ils ont préféré faire confiance à nos formations politiques pour renouveler le Sénat.

J’en profite d’ailleurs pour féliciter l’ensemble de ceux qui ont étés élus, en juin ou en septembre, et plus particulièrement Benoît Huré, Président du groupe DCI de notre association jusqu’à hier, pour son élection au Sénat.

Durant ces 2 dernières années, nous avons eu des divergences et des désaccords. Certains ne changeront sûrement jamais ! C’est d’ailleurs rassurant et ce qui fait la richesse de la démocratie de notre Pays.

Mais je veux dire que nous avons partagé sans ambiguïté un même objectif : celui de démontrer que le Département est une collectivité remarquable a bien des égards et qu’il est nécessaire qu’elle puisse continuer à l’être.

Je veux te remercier Benoît des échanges francs, sincères et respectueux que nous avons pu avoir.

J’en profite également pour féliciter François Sauvadet qui te succède, et nous souhaiter que cette relation puisse perdurer. Nous en avons besoin !

La séquence électorale qui se termine a été inquiétante.

Parce que rarement elle aura été en proie à aussi peu de fond et autant de forme.

Parce que jamais les populismes et les extrêmes n’auront été aussi proche d’arriver au pouvoir.

Mais surtout parce que pour la première fois une élection présidentielle n’a pas été le reflet des sensibilités politiques de notre pays, mais celui des fractures sociales et territoriales qui le rongent depuis près de 15 ans.

Alors, en Président de Département, comme vous je m’interroge :
Que se passera t’il la prochaine fois?
Que se passera t’il si nous ne faisons rien?
Que se passera t’il si on nous empêche de faire?
Que se passera t’il si nous ne sommes plus là pour faire?

Dans cette salle, nous connaissons la réponse : les fractures sociales et territoriales vont croître et l’illusion d’une alternative de rupture l’emportera. Non pas par raison, mais par colère ou par désespoir.

C’est pourquoi je veux rappeler au Gouvernement, que derrière ce qu’il appelle, très justement d’ailleurs, «la cohésion des territoires », se cache autre chose qu’une enveloppe budgétaire à raboter.

Il se cache des femmes et des hommes, des enfants et des aînés, des plaines et des montagnes, des côtes et des rivages, des villes et des villages qui n’ont pas besoin qu’on leur coupe les vivres !

Au contraire !

Ils ont besoin de s’inscrire dans la transformation économique, sociale, environnementale et numérique de la société, qu’on les invite à partager un destin collectif national et européen.

Ce rôle, c’est celui des services publics, de l’Etat et des collectivités territoriales. Il est le garant de l’indispensable équilibre des valeurs fondamentales et universelles de la République, du pacte Républicain qui fonde notre vivre ensemble.

Aux côtés de l’État, qui mieux que les Départements, incarne, par son histoire, par ses compétences, la nécessaire continuité du Pacte Républicain et l’indispensable renouvellement perpétuel de son application ?

Chefs de file des solidarités humaines, nous investissons chaque jour dans les politiques de solidarités parce nous croyons sincèrement qu’ils sont une chance et une ressource pour nos territoires.

Nous sommes aux côtés de chaque citoyen fragile ou handicapé qui a besoin d’accompagnement pour gagner en autonomie, en énergie, en compétences afin de retrouver le chemin du travail ou la confiance en soi nécessaire à l’affirmation de sa place dans notre société.

Nous protégeons sans compter, les enfants, les parents comme les ainés qui ont besoin d’être guidés et épaulés dans ces étapes cruciales de la vie.

Chefs de file des solidarités territoriales, nous soutenons les communes pour permettre à chacun de bénéficier de services publics de qualité quel que soit son lieu de vie.

Nous créons les réseaux physiques et numériques indispensables à l’échange et l’interaction qui créent des richesses humaines, économiques, et culturelles.

Nous garantissons le maillage territorial d’accès à l’éducation de nos enfants, mais aussi à la culture et aux sports, indispensable pour l’épanouissement personnel.

Bref, nous créons les conditions indispensables qui permettent à chaque français de prendre conscience qu’il appartient à un collectif. C’est l’essence de la République et de l’universalisme !

Pourtant, la petite musique que nous serions des collectivités dépassées et du passé plane toujours … Quelle erreur !

Au contraire, plus que jamais nous construisons chaque jour la France humaine et solidaire de demain !

Depuis 1982 et les lois de décentralisation, nous développons des savoir-faire irremplaçables, nous osons des innovations sociales et écologiques pionnières, nous engageons des expérimentations audacieuses.

Confrontés aux évolutions de nos compétences et à celles des attentes et des besoins de nos territoires, aucune collectivité n’a su autant adapter ses politiques publiques depuis 30 ans.

Et nous serions dépassés ?

Nous créons chaque jour des liens humains nouveaux, de l’activité économique locale et un espoir pour des personnes qui n’en ont plus.

Nous réinvestissons les zones blanches de service public, urbaines comme rurales.

Nous portons les maisons d’accessibilité des services au public.

Nous soutenons les maisons de santé.

Nous permettons la couverture en téléphonie mobile.

Nous construisons la France du très haut débit, des tableaux connectés, de la domotique, des réseaux responsables, des pratiques numériques de demain.

Et nous serions du passé ?

Mes chers collègues, affirmons-le : les Départements sont les acteurs quotidiens d’une France résolument tournée vers l’avenir !

Mais dans une République décentralisée, pour permettre la pérennité d’une telle synergie, l’État doit faire confiance dans la capacité d’agir des collectivités.

Le premier marqueur de cette confiance, c’est de leur garantir les moyens de leur indispensable action de proximité.

Pourtant, le Gouvernement, depuis qu’il est aux responsabilités, multiplie les décisions qui fragilisent cette confiance.

Nous, les Présidentes et Présidents de Départements de gauche que j’ai l’honneur de représenter, sommes favorables à sa reconstruction mais elle doit respecter certaines règles.

Dans l’ancien monde comme dans le soi-disant nouveau, co-construire une relation de confiance se fait dans un cadre commun.

C’est pourquoi nous voulons être extrêmes clairs sur les principes fondamentaux qui guident notre action.

Nous sommes des décentralisateurs.

Nous sommes attachés au principe constitutionnel fondamental de libre administration des collectivités. Nous sommes attachés à nos missions. Nous comptons les mettre en œuvre comme nos majorités l’entendent, guidés par l’intérêt général de nos territoires et respectant les lois votées par la représentation nationale.

C’est pour cela que les citoyens nous ont fait confiance, pas pour exécuter le budget d’un préfet suivant les orientations du Premier ministre.

Nous nous opposons donc formellement à toute intervention de l’État dans l’élaboration et l’exécution de nos budgets. Inutile de dire que la logique des contrats et l'instauration d'un taux directeur unique pour toutes les collectivités,de 1,2% ou même 1,4% pour les dépenses de fonctionnement tels que proposés actuellement par le Gouvernement sont simplement inacceptables et contraires à ces principes.

Nous nous opposerons également à chacune des mesures qui affaibliront leurs actions que nous menons aux services des territoires et de leurs habitants.

Ces principes émanent de notre texte fondamental, la Constitution, nous demandons seulement son respect.

Co-construire une relation de confiance c’est aussi reconnaître ses responsabilités.

Le Premier ministre Édouard Philippe, le ministre de la cohésion des territoires Jacques Mézard et la ministre auprès du ministre d'état, Ministre de l'intérieur, Jacqueline Gourault viendront ici à Marseille aujourd’hui et demain. Je me permets donc de les interroger :

Le Gouvernement est-il prêt à cesser chaque décision brutale comme celles prises depuis le début du quinquennat et dans le PLF pour 2018 ?
  • Suppression de 300 millions de crédits des collectivités dès 2017 ;
  • Baisse de 5 euros de l’aide personnalisée au logement dès octobre 2017 ;
  • Baisse de 1,4 milliard d’euros de l’APL des habitants de logements sociaux en 2018 mettant en péril le modèle de construction sociale ;
  • Baisse d’un tiers des contrats aidés en 2018.

Elles constituent un désengagement majeur et inacceptable au financement des solidarités dans notre pays que les collectivités devront, si elles le peuvent, compenser pour atténuer leur impact sur les territoires et leurs habitants.

Le Gouvernement est-il prêt à définir des lignes claires et formuler des propositions précises concernant le financement pérenne des trois allocations individuelles de solidarité et plus précisément du RSA en respectant les lignes rouges des départements ?
  • D’abord et avant tout, ces allocations relèvent de la solidarité nationale et ne doivent pas être financées par la solidarité locale, creusant des inégalités ;
  • Le maintien des politiques d’insertion à l’échelon départemental ;
  • La préservation des recettes dynamiques de ces derniers ;
  • La correction des iniquités entre Départements concernant le poids du reste à charge de ces allocations.

Cela fait deux ans que les départements travaillent et font des propositions à l’Etat. Nous attendons du Gouvernement qu’il gouverne, qu’il fasse ses propositions ! Nous ne pouvons accepter de choisir entre deux orientations aussi floues l’une que l’autre.

Vous savez ce que nous avons l’habitude de dire à gauche : lorsque c’est flou, il y a un loup…

Le Gouvernement est-il prêt à assumer et assurer la mise à l’abri et l’évaluation des mineurs non accompagnés ?

Est-il prêt à renforcer la coopération de l’État avec les Départements afin d’assumer cette compétence ?

Est-il prêt à développer les outils indispensables à un meilleur accompagnement et une meilleure insertion professionnelle de ces jeunes ?

De notre côté, qu’il soit assuré que nous serons prêts à accueillir tous les jeunes mineurs non accompagnés, étrangers ou non, sur le territoire national dans le cadre de l’Aide Sociale à l’Enfance, à condition que l’Etat contribue bien plus qu’il ne le fait aujourd’hui.

Le Gouvernement tiendra t’il la parole du Président de la République qui, le 17 juillet au Sénat, annonçait : « les situations d'urgence pour certains Départements seront bien évidemment prises en compte par le gouvernement ».

Est-il prêt à octroyer aux Départements un fonds d’urgence en 2017 que nous ne pouvons imaginer inférieur à celui de 2016 ?

Depuis 2004 nous sacrifions, petit à petit les autres politiques publiques que nous menons pour faire crédit à l’État.

Les bons comptes font les bons amis !

Il est temps que l’État agisse fortement pour nous permettre d’œuvrer pour le développement social, environnemental, numérique et culturel de nos territoires.

Le Gouvernement est-il prêt à assumer ses responsabilités pour renouer la confiance et ouvrir le dialogue ?

Enfin, co-construire une relation de confiance c’est en faire la démonstration :

En décentralisateurs convaincus, en femmes et hommes de terrain, nous sommes prêts à participer aux évolutions institutionnelles que veut ouvrir le Gouvernement.

Nous attendons de lui qu’il donne des signes clairs de sa volonté de s’inscrire dans l’héritage de la décentralisation.

Qu’il accompagne les projets de fusion ou de mutualisation entre collectivités, comme l’approfondissement métropolitain, dont le Grand Paris, uniquement, lorsqu’elles émanent d’une volonté partagée et consentie de l’ensemble des collectivités concernées.

Qu’il affecte aux Départements une part de CSG afin qu’ils bénéficient, au même titre que les régions, d’une ressource dynamique cohérente avec leurs compétences de solidarités.

Qu’il appuie et conforte le rôle d’ingénierie des départements pour réduire les fractures territoriales et accompagner le monde rural plutôt que de créer une agence qui leur ferait concurrence.

De notre côté, comme nous le sommes déjà, nous serons au rendez-vous de nos responsabilités !

En dirigeants rigoureux, nous sommes prêts à participer au redressement des comptes publics de la Nation, comme nous le faisons depuis de très nombreuses années.

Mais nous ne pourrons le faire qu’à condition que le Gouvernement assume les siennes et fasse la démonstration de sa volonté de construire avec nous la France de demain.

Ces conditions sont impératives pour construire un dialogue pérenne.

Monsieur le Président de l’ADF, cher Dominique, tu pourras compter sur le groupe de gauche pour travailler sans relâche à ce qu’elles soient acceptées et respectées.


Sans elles, c’est le Gouvernement qui fera le choix de défier les territoires.

Alors nous saurons prendre acte de cette volonté et mobiliser sans relâche pour faire gagner la France des territoires et de ses habitants.

Mes chers collègues, pour finir, je voulais prendre un peu de recul et de perspective.

Nous savons que la construction d’un nouveau monde peut être pour certains le terrain de magnifiques épopées.

Mais il peut aussi être pour beaucoup celui de grandes désillusions. C’est une audace risquée lorsqu’il s’agit de guider le bien commun.

Nous savons aussi qu’il est nécessaire de défendre l’équilibre et les acquis précieux de notre société, bâtis pierre après pierre depuis 1789.

Qu’il faut lui donner les capacités d’embrasser l’avenir avec pour objectif le progrès collectif, l’épanouissement de chacun et la justice pour tous.

C’est peut-être d’apparence moins enjôleur mais ça n’en est pas mois audacieux !

Nous sommes la France des territoires et de ses habitants, c’est elle que nous voulons construire !